Thursday, May 1, 2014
S’informer avant d’exploiter
Une équipe de chercheurs québécois a récemment présenté au BAPE la première étude permettant de déterminer le niveau de contamination des eaux souterraines avant l’extraction du gaz de schiste
Article publié dans Le Devoir du 29 avril 2014 | Karl Rettino-Parazelli
S’il choisit de se lancer un jour dans l’exploitation du gaz de schiste, le Québec sera le premier endroit dans le monde à pouvoir mesurer précisément les impacts de sa décision. Une équipe de chercheurs québécois vient de présenter devant le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) une étude inédite détaillant les niveaux de contamination des eaux souterraines de la vallée du Saint-Laurent avant toute extraction.
En juin 2012, le Comité de l’évaluation environnementale stratégique (EES) sur le gaz de schiste a donné un an au centre de recherche en géochimie et géodynamique, le Geotop, pour mesurer la quantité de méthane, de radon et d’hélium présente dans les eaux souterraines convoitées par les compagnies gazières.
« On a pu aller vérifier les niveaux de gaz avant même qu’il y ait exploitation, explique l’un des membres de l’équipe de chercheurs, le professeur au Département de chimie et de biochimie de l’Université Concordia Yves Gélinas. Ça nous permet d’avoir une sorte de ligne de base, de point zéro à partir duquel on sait que si on trouve des concentrations plus élevées avec de l’exploration ou de l’exploitation, on pourra relier la contamination à l’activité industrielle. »
C’est la première fois qu’une telle approche est utilisée, souligne-t-il. Par le passé, des études semblables réalisées aux États-Unis ont permis d’évaluer la qualité de l’eau souterraine, mais seulement après le début de l’exploitation. « Les compagnies ont demandé quel était le niveau de méthane avant leur arrivée. Comme les autorités n’avaient pas l’information, ils n’ont jamais pu responsabiliser ces compagnies-là pour les fortes concentrations de gaz qu’il y avait dans les eaux souterraines à ces endroits-là. »
Pas alarmant
Pour éviter qu’une telle situation se produise ici, les chercheurs ont analysé des échantillons provenant de 130 puits — soit résidentiels, municipaux ou d’observation — situés entre Montréal et Québec, entre le Saint-Laurent et les Appalaches. Leur étude est l’une de celles contenues dans un rapport synthèse sur la filière du gaz de schiste au Québec. Ce volumineux document a servi de base à la première partie de l’audience publique du BAPE, qui s’est conclue le 17 avril.
Dans l’ensemble, l’équipe du Geotop a constaté que 18 puits présentaient des concentrations de méthane supérieures à la limite fixée par le gouvernement du Québec. Dans quatre puits, les concentrations ont même excédé le seuil de solubilité de ce gaz dans l’eau. « Quand on dépasse ce seuil, le méthane va naturellement dégazer, souligne M. Gélinas, qui a travaillé en collaboration avec Anja Moritz, l’une de ses étudiantes à la maîtrise. Donc si on a une eau stagnante dans un endroit fermé, ce qui est souvent le cas des puits, il y a une possibilité que le méthane s’accumule et qu’il y ait un danger d’explosion. » Le gouvernement a réclamé une « action immédiate » pour remédier à la situation.
Dans le cas du radon, six puits ont dépassé le seuil recommandé par l’Organisation mondiale de la santé, mais aucun n’a excédé le niveau établi par Santé Canada. Et pour ce qui est de l’hélium, on l’a retrouvé en concentrations plus élevées dans les basses terres du Saint-Laurent. Les résultats obtenus pour les trois gaz ne sont toutefois pas alarmants, résume le chercheur.
En fait, les chiffres sont moins intéressants que les phénomènes qu’ils décrivent. M. Gélinas et ses collègues ont voulu déterminer si le méthane recueilli provenait des eaux profondes, là où se trouve la roche renfermant le gaz de schiste, ou s’il avait plutôt été produit naturellement par des bactéries situées en eaux de surface.
« On utilise le méthane comme marqueur. S’il y a migration du gaz à travers les fissures naturelles de la roche ou celles qu’on crée, il y a un risque que le liquide de fracturation migre également », ajoute-t-il. Si ce liquide toxique utilisé lors de la fracturation hydraulique migre comme le fait le méthane, il peut contaminer l’eau souterraine servant à la consommation humaine. Heureusement, l’essentiel du méthane échantillonné a été produit naturellement en eaux peu profondes.
Recherche appliquée
L’étude présentée il y a quelques semaines aux commissaires du BAPE est tout à fait « valable », mais Yves Gélinas admet qu’il aurait aimé approfondir certaines questions, pousser la recherche encore plus loin. Il se demande, par exemple, pourquoi des échantillons prélevés au même endroit à l’automne puis au printemps avaient des concentrations différentes et ne provenaient pas de la même source.
« On a une image ponctuelle dans le temps, mais il faudrait faire un suivi régulier et retourner plusieurs fois par année pour voir la variabilité naturelle du méthane et la variation des sources. Ces recherches-là en sont à leurs débuts », affirme-t-il.
Les travaux des chercheurs du Geotop permettront néanmoins d’alimenter la réflexion entamée par le BAPE, qui devrait rendre public son rapport au début de l’année 2015. Ce sera ensuite au gouvernement de décider de la voie à suivre.
« Je vois les deux côtés de la médaille, répond M. Gélinas lorsqu’on lui demande de commenter l’épineux dossier des gaz de schiste. C’est évident que si on exploite le gaz de schiste pour remplacer du pétrole encore plus polluant, je vois les avantages que ça peut apporter au niveau sociétal et économique. Mais je partage aussi les sensibilités des gens qui pensent différemment et qui se demandent si on en a vraiment besoin ou qui se disent qu’il y a des avenues qu’on n’a pas encore assez explorées, comme la réduction de la consommation. »
Il se dit également sensible aux inquiétudes des habitants qui ont vu débarquer des compagnies gazières du jour au lendemain et qui, bien souvent, ne savent pas si la qualité de leur eau est menacée. Le professeur sait que son apport scientifique ne représente qu’une goutte dans un océan, mais compte tenu de l’importance de l’enjeu, il a l’agréable impression d’avoir fait oeuvre utile.
L’entrevue est réalisée avec Yves Gélinas, professeur agrégé au Département de chimie et de biochimie de l’Université Concordia
Lien: http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/406781/entretiensconcordia
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Get the information before extracting
A team of Quebec researchers recently presented to the BAPE (provincial environmental public hearings body) the first study to determine the level of contamination of groundwater before extracting shale gas.
This is my translation of an article written by Karl Rettino-Parazelli published in the newspaper Le Devoir April 29 2014.
If ever Quebec decides to do the exploitation of shale gas, it will be the first place in the world that measured precisely the impacts of its decision. A Quebec team of researchers just prensented before the BAPE a yet unpublished study giving the details of the levels of contamination of groundwater in the St. Lawrence valley before any extraction was done.
In June 2012, the Strategic Environmental Assessment board (ÉES) on shale gas gave one year for the research center in geochemistry an geodynamics called Geotop to measure the quantity of methane, of radon an of helium found in the groundwater in the areas the gas companies want to explore.
"We were able to verify the levels of gas even before there was any exploitation, explains one of the members of the research team, professor in the Department of chemistry and of biochemistry of the University of Concordia, Mr Yves Gélinas. That will let us have a kind of baseline, a point zero from which we will know if we find concentrations any higher with exploration or exploitation, we will be able to link the contamination to industrial activity."
It is the first time such an approach has been tempted, he points out. In the past, similar studies made in the US helped us estimate the quality of groundwater, but only after the beginning of exploitation. "The companies asked what was the level of methane before they got there. Since the authorities did not have that information, they were never able to make these companies responsible for the high concentration of gas found in the groundwater there."
Not alarming
To avoid such a situation happens here, the researchers have analyzed samples from 130 wells, either residential, municipal or observation (water) wells between Montreal and Quebec, between the St. Lawrence (River) and the Appalachian Mountains. Their study is one of those included in a synthesis report on the shale gas file in Quebec. This large document was used as the basis of the first part of the public hearings of the BAPE that ended April 17.
Overall, the Geotop team observed that 18 wells had superior methane concentrations than the Quebec government norm. In 4 wells, the concentrations were even above the solubility threshold of this gas in water. "When it goes beyond that threshold, the methane will naturally degas, says Mr Gélinas, who worked in collaboration with Anja Moritz, one of his students doing her Masters. So if there is a bit of stagnant water in a closed area, which is often the case with wells, there is the possibility that the methane will accumulate and there will be danger of explosion." The government has asked for "immediate action" to remediate the situation.
Six wells tested beyond the recommended norm for radon by the World Health Organization, but none went beyond the recommended norm of Health Canada. As for helium, the highest concentrations were found in the St. Lawrence Lowlands. The results for the 3 gases are not alarming, says the researcher.
Indeed, the numbers are less interesting than the described phenomenons. Mr Gélinas and his colleagues wanted to determine if the collected methane came from deep water where the shale containing the shale gas is, or if it had been produced naturally by bacteria found in surface water.
"We use methane as a marker. If there is gas migration through natural fractures in the rock or those we created, there is a risk that the fracking liquid migrates also", he adds. If this toxic liquid used during the hydraulic fracturing migrates like the methane does, it could contaminate groundwater that is source of drinking water. Thankfully, most of the methane sampled was produced naturally in shallow water.
Applied research
The report presented a few weeks ago to the BAPE commissioners is perfectly "valid", but Yves Gélinas admits he would have liked to delve deeper with some questions, do a little more research. For example, he wonders why samples taken at the same site in the Fall, then during Spring, had different concentrations and did not come from the same source.
"We have a spot image in time, but follow-ups should be done on a regular basis and return many times during a year to observe the natural variability of the methane and the variation of the sources. That kind of research is just beginning right now", he adds.
The work done by the Geotop researchers will nevertheless feed the reflection started by the BAPE that should make its report public in the beginning of 2015. It will then be up to the government to decide what to do.
I see both sides of the coin, says Mr Gélinas when we ask him to comment on the controversial shale gas. It is obvious that if we extract shale gas to replace oil that is even more polluting, I can see the social and economical advantage. But I also share the preoccupations of people thank think otherwise and wonder if we really need it or if there would not be unexplored solutions, like reducing our consumption."
He says he is also aware of the preoccupations of the residents that saw gas companies show up at their doorstep all of a sudden and very often do not know if the quality of their water is threatened. The professor knows that his scientific study is but a drop in an ocean, but because of the importance of what is involved, he has the good feeling of having provided a useful paper.
This is an interview with Yves Gélinas, Associate Professor in the Chemistry and Bio-Chemistry Department of Concordia University.
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