Friends of the Richelieu. A river. A passion.



"Tout cedit pays est fort uny, remply de forests, vignes & noyers. Aucuns Chrestiens n'estoient encores parvenus jusques en cedit lieu, que nous, qui eusmes assez de peine à monter le riviere à la rame. " Samuel de Champlain


"All this region is very level and full of forests, vines and butternut trees. No Christian has ever visited this land and we had all the misery of the world trying to paddle the river upstream." Samuel de Champlain

Saturday, August 20, 2011

Gil Courtemanche - 1943-2011

Pour célébrer le décès d'un journaliste que j'admirais beaucoup, voici la reproduction de l'une de ses perles:

"Bonheur: nouveau principe de précaution"

"On a appris cette semaine que, sur une trentaine de puits d'exploration de gaz de schiste, dix-neuf présentaient des irrégularités sous la forme soit d'émanations, soit de ruissellements. Aucune de ces anomalies n'a cependant été jugée suffisamment problématique pour que soit ordonné la suspension ou l'arrêt des activités sur ces sites fautifs, mais les révélations ont fait la manchette, alimentant les arguments de ceux qui réclament un moratoire immédiat. Fuites = danger.

Le rapport du ministère a donné lieu, à Radio-Canada, à un débat entre Stéphane Gosselin, de l'Association pétrolière et gazière, et le metteur en scène Dominic Champagne, un «affrontement» qui a illustré remarquablement les pièges mais aussi les nouvelles lignes de force des conflits entre industrie et citoyen.

Le représentant de l'industrie avait peut-être raison de dire qu'aucun danger n'existait, que les émanations étaient des phénomènes naturels et que tous les correctifs avaient été mis en place. Le représentant des citoyens se demandait combien de puits seraient fautifs (donc implicitement dangereux) si dix mille puits étaient exploités au Québec. Implicitement, il accusait l'industrie de toujours minimiser les écueils, de sous-estimer les risques et d'attendre la catastrophe pour modifier ses pratiques d'exploration et d'exploitation. Dans le même souffle, il n'exprimait que des doutes à l'égard du rapport du BAPE attendu dans quelques semaines, soulignant le mandat restreint que lui avait confié le gouvernement. Le citoyen Champagne avait lui aussi peut-être raison. Méfiance et scepticisme devant les discours officiels sont au coeur dorénavant des débats citoyens sur l'environnement.

Et cela s'explique facilement. C'est le fruit de décennies de complicité, de négligence, de copinage durant lesquelles gouvernements et industriels ont labouré la terre, vidé le sous-sol, éradiqué les forêts pour laisser à la collectivité le soin de réparer les pots cassés quand cela était possible. Dans le cas du gaz de schiste, c'est le résultat de ce qui a été perçu, par une bonne partie de la population, comme une sorte de complot entre le gouvernement libéral et l'industrie gazière pour imposer à un immense territoire densément peuplé une nouvelle activité industrielle qui serait éminemment rentable pour l'industrie privée, sans qu'on se soucie un seul instant de ses retombées sur la qualité de vie et sur la richesse collective. Il fut un temps où personne ne remettait en doute l'équation fondamentale du modèle capitaliste: la création de la richesse privée contribue à accroître le bien-être collectif. Cette adéquation ne fait plus toujours office de dogme divin. La donne change.

C'est ainsi que, collectivement, parfois sans le nommer expressément, on recourt de plus en plus au principe de précaution, ce que Dominic Champagne appelait la «sagesse populaire». Ce principe est simple. Il dit aux industriels et au gouvernement: «Prouvez-nous hors de tout doute raisonnable que ce que vous nous proposez est bon pour nous.» Ce principe s'est d'abord appliqué aux aspects strictement scientifiques de nouveaux produits comme les OGM ou aux dangers écologiques ou pour la santé. Dans le cas du gaz de schiste, il prend des proportions beaucoup plus larges. Il exprime aussi un droit de regard sur son territoire, une revendication pour la qualité de vie, une affirmation de la propriété collective du sous-sol, un rejet du bradage des richesses naturelles.

Il est intéressant de noter quels sont ceux et celles qui montent aux barricades pour s'opposer à l'industrie gazière. Ce n'est plus l'affaire exclusive des spécialistes ou militants écologistes ou encore de quelques marginaux illuminés. De plus en plus d'élus locaux, surtout municipaux, conseillers et maires, expriment leur opposition. Traditionnellement, toute nouvelle industrie dans une localité recevait l'approbation presque automatique des conseils municipaux. Cela signifiait de nouveaux emplois et des revenus supplémentaires pour la municipalité. La croissance économique l'emportait très souvent sur toute autre considération. Ce n'est plus toujours le cas. Les maires sont souvent les premiers sur la ligne de front. Élus de proximité, ils savent de plus en plus le sens des mots «bien-être collectif», car s'ajoute aussi au principe de précaution le maintien de la qualité de vie. C'est un peu ce que voulait dire Dominic Champagne quand il ajoutait comme dernier argument: «Et puis si les citoyens n'en voulaient tout simplement pas.» Ce n'est pas un argument qu'il faut rejeter du revers de la main, au contraire. Cela s'appelle «l'appropriation du territoire», la volonté de conserver intact un milieu de vie qu'on a choisi, dans lequel on a investi, qu'on a contribué à développer et qu'on chérit. Pas besoin d'être devin pour imaginer que le creusage de quelques puits de gaz dans un village de la vallée du Richelieu bouleversera la quiétude et le bien-être de ses habitants. Cela a aussi une valeur tangible qui de plus en plus surpasse, dans l'esprit des citoyens, les hypothétiques retombées économiques pour la collectivité. Poussé à l'extrême et nourri par l'ignorance et les préjugés, ce principe de précaution du bonheur peut parfois donner naissance au syndrome dénommé «Pas dans ma cour», mais, dans ce dossier, ce n'est pas le cas puisqu'il semble que c'est toute la vallée du Saint-Laurent qui dit: «Pas dans ma vallée.»"

Lien: http://www.ledevoir.com/environnement/actualites-sur-l-environnement/314280/bonheur-nouveau-principe-de-precaution

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