Photo: The Tyee
Qu'y a-t-il derrière le démantèlement des bibliothèques scientifiques du Canada? Des scientifiques rejettent l'affirmation du gouvernement Harper que des données vitales sont sauvegardées en format numérisé.
Ma traduction libre d'un reportage d'Andrew Nikiforuk publié dans le quotidien The Tyee le 23 décembre 2013.
Des scientifiques disent que les fermetures de plusieurs bibliothèques qui sont parmi les meilleures en tant que données sur les pêcheries, les océans et l'environnement par le gouvernement Harper ont été si chaotiques que des collections irremplaçables de capital intellectuel payé par les contribuables Canadiens pour le bienfait des générations futures est perdu à jamais.
Plusieurs collections, comme la bibliothèque Maurice Lamontagne à Mont-Joli, au Québec, se sont retrouvées dans les poubelles, tandis que d'autres comme la bibliothèque historique de l'institut des eaux douces à Winnipeg ont été dévalisées par des citoyens, des scientifiques et des consultants locaux en environnement. D'autres ont été brûlées ou envoyées dans des sites d'enfouissement, disent des scientifiques.
De plus, le gouvernement affirme faussement que le contenu vital a été préservé en numérisant du matériel venant de 9 bibliothèques régionales que le Pêches et Océans a combinées pour en faire que 2.
"Le département (de Pêches et Océans) a affirmé que toute information utile venant des bibliothèques fermées est disponible en format numérisé. Cela est tout simplement faux. Beaucoup de matériel est perdu à jamais," affirme l'un des scientifiques du département qui demande l'anonymat.
Cette information laissant comprendre qu'un trésor financé par les contribuables ait été détruit vient d'entrevues faites par le quotidien The Tyee avec une demi-douzaine de scientifiques reconnus, dont plusieurs ont demandé de demeurer anonymes de peur que leur financement ou d'autres appuis gouvernementaux pourraient en souffrir si leurs noms étaient liés avec leurs préoccupations qu'ils voulaient partager avec le public.
Certains des scientifiques en recherche qui ont été interviewés mettent en doute la légalité de ce qu'ils ont vu se dérouler sous leurs yeux, et accusent le gouvernement Harper de "libricide."
Non seulement le public canadien a perdu des données de base importantes culturelles et environnementales datant de plus de 100 ans, les scientifiques disent avoir perdu le coeur symbolique de leurs opérations de recherche.
Un scientifique de Pêches et Océans a dit au The Tyee, "Les coupures ont été faites en toute hâte, apparemment selon un agenda inconnu. Aucune donnée n'a été fournie pour indiquer quelle genre de matériel a été jeté ou la valeur de cette propriété publique. Aucun effort formel n'a été fait pour transférer ce matériel dans d'autres bibliothèques d'institutions académiques déjà existantes."
Un scientifique après l'autre disait avoir essayé de comprendre la logique de fermer ces bibliothèques dédiées à l'eau et aux poissons dans un pays qui compte la plus longue côte océanique et environ 18% des surfaces d'eaux douces. La plupart ont perçu dans ces actions un agenda politique du gouvernement Harper afin de réduire le rôle du gouvernement du Canada dans la société, ainsi que la diminution de preuves scientifiques en établissant des politiques.
Selon une analyse de Bill Curry publiée dans le quotidien The Globe and Mail, le gouvernement Harper réduira le gouvernement du Canada à une taille diminuée jamais vue depuis 50 ans d'ici l'an 2015.
La fermeture de bibliothèques, l'arrêt de la recherche.
Comme il a été déjà rapporté dans The Tyee plus tôt ce mois-ci, des bibliothèques importantes ont été démantelées par le gouvernement, dont la renommée Freshwater Institute à Winnipeg; l'historique St. Andrews Biological Station (SABS) à St. Andrews, au Nouveau-Brunswick (c'est là que l'éminente scientifique Rachel Carson a fait ses recherches pour écrire Silent Spring) et l'une des plus complètes collections marines au monde du Northwest Atlantic Fisheries Centre à St. Johns, à Terre-Neuve.
En même temps, le gouvernement a démantelé des groupes de recherche qui dépendaient de ces bibliothèques comme le Experimental Lakes Area, le Hazardous Materials Information Review Commission et tout le programme de recherche sur les contaminants de Pêches et Océans. L'institut Freshwater Institute ainsi que le Centre pour Offshore Oil, Gas et Recherche énergétique (COOGER) a perdu la majorité de son financement et son personnel également.
Ken Lee, un expert mondial en déversements pétroliers et l'ancien directeur de COOGER, a vu çà venir et a trouvé un emploi prestigieux en Australie.
Dans un courriel privé envoyé originalement à un collègue et ensuite partagé avec The Tyee, un scientifique a comparé le démembrement de la bibliothèque du Freshwater Institute la semaine dernière à une vente de débarras: "J'ai pu sauver quelques pièces ici et là, dont l'un était une version imprimée de 3 volumes des données qui allaient dans la base de données maintenant disparue du DFO sur les produits toxiques."
Le scientifique suggérait que "les individus intéressés devraient aller jeter un coup d'oeil et dévaliser la bibliothèque avant qu'on y mette le feu."
Kelly Whelan-Enns, à la tête de la recherche sur les médias et les politiques du Manitoba Wildlands, a passé deux jours à la bibliothèque pour tenter de sauver des cartes datant des années 1900 et des données sur la flore et la faune datant des années 1920.
"J'ai vu une firme de consultants privée qui travaille pour Manitoba Hydro reculer un camion et le remplir de données et de matériel du Manitoba que le public avait financé. J'étais profondément triste et consternée."
"C'est clair que ce gouvernement se soucie peu de discours public."
Ce qui s'est passé à la bibliothèque de l'institut Freshwater Institute a aussi choqué un autre scientifique qui a 30 années d'expérience avec le gouvernement fédéral.
"Des centaines de livres de journaux reliés, des rapports techniques et des textes encore sur les tablettes, présumément destinées pour les poubelles ou la déchiqueteuse. J'ai vu un célèbre monographie sur le zooplancton, qui irait probablement vaudrait beaucoup dans une librairie de documents scientifiques usagés...n'importe qui pouvait entrer et se servir, et sans documentation de qui prenait quoi."
"Çà brise le coeur."
Bien que des livres aient été transférés dans des bibliothèques à Sidney, en C.-B., et Halifax, en N.-É., le démembrement de collections sans prix ont choqué des scientifiques en vie marine et aquatique et des citoyens ordinaires.
"Le fait que beaucoup de matériel ait été jeté ou donné brise le coeur de ceux d'entre nous qui se sont dédiés à la recherche sur ces sujets (les sciences marines et pêcheries), et l'histoire de la science au Canada," dit Peter Wells, un important scientifique en environnement marin de l'université de Dalhousie.
M. Wells, qui est aussi un toxicologue aquatique, a passé toute sa carrière comme fonctionnaire à Environnement Canada de 1974 à 2006 sur une variété de questions environnementales.
"Que nous, en tant que société, permettons la destruction d'information et la fermeture de bibliothèques clés au Canada est incroyable, et selon moi, non démocratique et probablement criminel... ce serait un aspect intéressant à enquêter," ajoute le scientifique.
"Par une politique mal pondue supposément poussée par le désir de couper les dépenses dans les services publiques, et je crois que ceci est la seule raison pour cette action, nous avons détruit un réseau de bibliothèques marines et de pêches de classe mondiale qui faisait l'envie partout au travers la planète. Le reste du monde ne peut pas croire ce qui se passe au Canada autour de cette question."
En conclusion, Wells ajoute: "Si je travaillerais toujours pour le gouvernement, je serais probablement renvoyé pour m'être inquiété et dénoncé ce que réserve l'avenir scientifique aquatique au Canada et les impacts des politiques fédérales actuelles."
Selon un infographique fait par Environnement Canada (une autre agence qui a subit des coupures sévères en sciences), "environ 14% du Canada" est recouvert de lacs, de rivières, de milieux humides, d'étangs et d'eaux marines des estuaires.
De plus, "ces habitats fragiles d'eau douce, nécessaires à l'écologie et à l'économie du Canada, sont gravement menacés par le drainage, des réclamations de terrains, de la pollution, l'abus et le développement."
Des scientifiques nient que le matériel soit numérisé adéquatement.
Un site web de Pêches et Océans affirme que les fermetures de bibliothèques et la consolidation de 9 sites locaux en 2 seuls bibliothèques centrales permet tout de même "une recherche plus facile et un accès aux clients, peu importe où ils sont."
Le site prend aussi la défense des fermetures en affirmant que peu de citoyens ne consultent ces bibliothèques de toute façon, et que la plupart du matériel est maintenant numérisé.
Un porte-parole de l'agence n'a pas répondu une série de questions posées par The Tyee. À la place, David Walters a référé le quotidien vers un site de propagande du gouvernement.
Six scientifiques ont été approché par The Tyee et ont contesté plusieurs affirmations trouvées sur le site web.
Ils argumentent que les statistiques de Pêches et Océans démontrent qu'un seul livre sur 20 dans la collection du département de plus de 600,000 documents ont été numérisés. De plus, les données sur la fréquentation de la bibliothèque ont été ouvertement biaisées et basées sur le nombre de personnes qui demandaient de l'aide, selon Burton Ayles, un directeur général à la retraite de Pêches et Océans qui vit maintenant à Winnipeg et a souvent profité de la bibliothèque du Freshwater Institute.
"La plupart des gens qui viennent à la bibliothèque n'ont pas besoin de demander de l'aide. Ils ne font que consulter le matériel. Vous n'avez qu'observer n'importe quelle bibliothèque."
Ayles est certain que les fermetures vont sévèrement restreindre l'accès du public et des scientifiques de façon permanente.
"Auparavant, on pouvait entrer, consulter la tablette pour du matériel quelconque, choisir une publication et vérifier si le document avait un lien avec nos besoins. Maintenant, on doit obtenir une location entre bibliothèques pour seulement regarder le matériel qui peut être entreposé en quelque part dans une voûte."
La perte de bibliothèques n'est pas un acte neutre dit le scientifique Hutchings.
La bibliothèque du Freshwater Institute comptait des collections qui dataient de plus de 100 ans, sur la qualité et l'état de santé de systèmes d'eaux douces du centre du Canada, des Grands Lacs et l’Arctique.
Le renommé biologiste de l'université de Dalhousie, Jeff Hutchings, qui a présidé dernièrement le comité d'experts de la Société du Canada sur la biodiversité marine, a qualifié les fermetures de désastre scientifique et une attaque à la société civile.
"C'est toujours déconcertant d'une perspective de recherche et de science de constater qu'un gouvernement mine la recherche de base. Il y a beaucoup de matériel en ligne, mais tout autant de livres et de matériel ne le sont pas. L'idée qu'on puisse envoyer un courriel à Ottawa et obtenir un livre en quelque part plus tard est un mythe. L'idée que toutes les demandes seront répondues n'est pas la réalité."
"D'une perspective scientifique et de recherche, ces fermetures n'auront aucun impact positif sur la qualité de la recherche mais elles auront des impacts négatifs. La perte de bibliothèques n'est pas un acte neutre."
Il remarque que les fermetures ont aussi démoralisé les chercheurs. "C'est un département qui a souffert de coupures et a perdu ses responsabilités. Pour des scientifiques, des techniciens et des biologistes, pour des personnes qui ont été à l'université, la bibliothèque est le symbole de la connaissance et la sagesse. C'est une clé pour la recherche. L'enlever d'une bâtisse n'est pas facile."
Ce doit être une question d'idéologie dit Hutchings
Hutchings dit qu'aucune des fermetures n'ont eu à voir avec l'économie d'argent, à cause du faible coût de garder les collections. Lui, comme plusieurs scientifiques, sont venus à la conclusion que les convictions politiques de Harper sont à la source de ces consolidations sans précédents.
"Çà doit être une question d'idéologie. Rien d'autre ne l'explique," dit Hutchings. "Quelle est cette idéologie? Ce n'est pas clair. Est-ce que cela représente une partie du gouvernement Harper qui ne croit pas que le gouvernement devrait être impliqué dans justement les choses qui ont des effets sur notre vie? Ou est-ce que c'est le rôle du gouvernement n'est-il pas de faire la collection de livres ou financer la science? Ou est-ce l'idée qu'un bon gouvernement est un gouvernement épuré à son strict minimum?"
Hutchings voit la fermeture des bibliothèques comme faisant partie d'un stratège plus large de "peur et d'insécurité" à l'intérieur du gouvernement Harper, "sur comment traiter la science et la connaissance."
Ce stratège inclut le démantèlement de la loi sur les pêches, le musèlement des scientifiques, l'abandon de la recherche sur les changements climatiques et le démantèlement de plusieurs programmes de recherche, dont le mondialement reconnu site du Expermimental Lakes Area. Tous ces exemples laissent comprendre que le gouvernement Harper considère fortement la science environnementale comme une menace à l'exploitation sauvage des ressources.
"Il y a un groupe de personnes qui ne savent pas quoi faire avec la science et les preuves. Elles les perçoivent comme un problème et la meilleure façon de procéder est de leur couper les jambes et les rendre inefficaces, explique Hutchings.
"L'autre point inquiétant est que personne ne semble s'en soucier outre mesure. Il y a un coût politique minime pour faire ce genre de chose tout comme il n'y a aucun coût politique à prendre de mauvaises décisions quand on gère les océans."
Plusieurs scientifiques, don Hutchings et l'écologiste marin de renommée mondiale David Schindler, ont comparé les attaques concertées du gouvernement contre la science environnementale au fascisme et l'alignement complet de l'état et les intérêts corporatifs des années 1930 en Europe.
"Regardez l'évolution de certains partis politiques dans les années 1930," fait remarquer Hutchings, "et vous devez vous demander comment cela peut survenir et comment de telles idéologies extrêmes ont pu être adoptées si rapidement, et comment cela pourrait se reproduire dans une démocratie de nos jours?"
Un éditorial récent du dimanche dans le New York Times condamnait la répression et le monitorage de la science environnementale au Canada par le gouvernement Harper:
"Ceci est bien plus qu'une attaque contre la liberté académique. C'est une tentative à garantir l'ignorance du grand public," disait l'éditorial.
"C'est aussi conçu pour s'assurer que rien ne viendra contrecarrer la course pour exploiter les ressources nordiques -- un effort désespéré pour miner la terre et les océans sans se soucier des conséquences environnementales."
Lien: http://m.thetyee.ca/News/2013/12/23/Canadian-Science-Libraries/
La Ministre de Pêches et Océans se défend dans un communiqué: http://thetyee.ca/News/2014/01/08/Scientists-Say-DFOs-Library-Closure-Defence-Doesnt-Add-Up/
Monday, January 6, 2014
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