Photo: Étienne Laberge
Un texte de Lucie Sauvé publié dans Le Huffington Post.
Lien: http://quebec.huffingtonpost.ca/lucie-sauve/eau-potable-hydrocarbures-ethique-publique_b_5669307.html
Selon le ministère du Développement durable, de l'Environnement et de la Lutte aux changements climatiques (MDDECL), le nouveau règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection (RPEP) «constitue une réponse concrète aux demandes formulées par les citoyens, les municipalités et les entreprises du secteur. Il permet de poursuivre les activités d'exploration et d'exploitation des hydrocarbures tout en assurant l'encadrement de ce développement économique potentiel».
D'abord, il est certes paradoxal qu'un tel règlement émane d'un ministère chargé de la lutte aux changements climatiques. Il est aussi extrêmement gênant de considérer qu'il répond aux demandes des citoyens et des municipalités. Qu'ont appris nos décideurs, qu'ont-ils retenu de la mobilisation sociale sans précédent, des audiences et consultations multiples sur la question et de la démarche rigoureuse et démocratique menée par des milliers de citoyens et des centaines d'élus pour doter leurs municipalités de règlements adéquats pour la protection de leur eau?
Avant même le début du processus annoncé d'évaluation environnementale stratégique sur la filière des hydrocarbures, le MDDECL va donc ainsi de l'avant avec ce règlement fondé sur la gestion de risques mal évalués? Certes, en vue de contribuer à l'«allègement réglementaire», une étude d'impact économique (EIE) du règlement a été commandée. Le rapport signale une incertitude quant à son coût d'opérationnalisation: les impacts globaux à long terme pour les entreprises pétrolières ou gazières «n'ont pu être évalués en raison des difficultés à déterminer le potentiel de développement de l'industrie»... potentiel qu'on espère abondant - il va de soi - pour rentabiliser l'imposante infrastructure requise (assumée en grande partie par l'état). Mais alors qu'en est-il de l'horizon d'incertitude des coûts collectifs engendrés par cette industrie invasive et extensive sur les territoires concernés (comme en témoigne l'expérience américaine)? De façon optimiste, le rapport de l'EIE du RPEP annonce des «bénéfices environnementaux».
Une rhétorique vertueuse
Sans surprise, nos décideurs ont étudié le dossier au regard des «vraies affaires». Il faut observer aussi qu'ils utilisent d'habiles stratégies de communication, adoptant entre autres un discours vertueux : sécurité, vigilance, protection, intégrité des sources d'eau potable pour les générations actuelles et futures, accroissement des connaissances, transparence, sévérité exemplaire, suivis très rigoureux, etc. Nous voilà au cœur d'une problématique qui concerne la dimension éthique d'une politique publique en matière d'environnement.
Il importe d'abord de reconnaître que les valeurs n'ont de sens que dans le système éthique où elles s'inscrivent. Les valeurs instrumentales de sécurité ou de vigilance par exemple, sont essentiellement relatives, tout comme celle de richesse collective. Leur sens et leur portée dépendent des valeurs fondamentales qui sous-tendent le projet en question. Or quels sont les fondements des choix éthiques d'un système de gouvernance où le «marché» devient «partie prenante» des dynamiques de prise de décision publique et peut acheter en toute légitimité des droits d'influence? Quel sens prend ici le «bien commun», qui devrait être le pôle de référence de toute décision politique?
Des enjeux éthiques
Parmi les enjeux majeurs concernant le rapport contemporain entre éthique et politiques publiques en matière d'environnement, mentionnons les suivants , qui se retrouvent également au cœur du nouveau Règlement (RDEP).
D'abord, la légitimité même de la gouvernance par la «gestion du risque» doit être remise en question. Une telle approche managériale occulte la recherche de finalités : au bout du compte, pourquoi accepte-t-on de prendre de tels risques? Dans l'intérêt de qui? Par ailleurs, la notion même de gestion du risque «s'éprouve hypocrite dans tous les cas d'incertitude scientifique» (A. Papaux).
La foi en la résilience, soit l'adaptation technologique, réglementaire et comportementale comme mode de gestion des risques, est un dangereux mirage. L'éthique de la résilience, entendue comme flexibilité en faveur d'une économie néolibérale «durable» et incluant l'internalisation de l'environnement comme moteur du marché, ne doit pas occulter la nécessité d'une véritable «politique de transformation» (R. Felli).
Au regard du «bien commun», le principe de précaution - associé à la lucidité du risque et à l'espoir qu'il est encore temps (A. Papaux) - doit prévaloir sur celui de la gestion du risque. De même en est-il de l'éthique de la justice écologique et du partage des avantages (F. Thomas). «Il ne s'agit plus de ferrailler sur l'à-propos de consommer un carburant fossile importé ou d'extraction locale, mais de dénoncer l'intenable ronde d'investissements massifs consentis à des projets d'extraction alimentant des usages que des filières viables, mieux qualifiées et plus structurantes au plan intergénérationnel, peuvent satisfaire à moindre coût social» (B. Saulnier).
Quant à la transparence, elle ne correspond trop souvent qu'à une fenêtre de lumière dans de larges pans de secrets (F. Lemarchand). La «transparence» est une exigence de démocratie, qui fait appel à la vigilance constante à l'égard de diverses formes d'opacité: quelle que soit la transparence des informations, on ne peut occulter que la dynamique de décision n'est pas fondée sur une soi-disant objectivité : elle est tributaire d'un «jeu d'interprétation et d'argumentation» (A. Papaux).
Enfin, l'acceptabilité sociale ne doit pas être réduite à l'acceptation sociale, surtout lorsque le public ne dispose pas d'une information complète et crédible. Le fameux «dialogue avec les communautés» mené par des experts institutionnels et de l'industrie peut correspondre à «un système de communication fondé sur l'évacuation de la capacité réflexive des acteurs» (R. Beaudry et coll.). Or toutes les initiatives de marketing social ne remplaceront jamais la nécessité d'identifier collectivement des critères d'acceptabilité fondamentale. L'acceptabilité sociale fait référence à l'exercice d'une démocratie participative et active. La présence accrue des citoyens dans l'arène des choses publiques élargit la dimension éthique des débats et peut conduire à repenser les systèmes de valeurs, généralement implicites ou instrumentalisées, qui déterminent les politiques publiques en matière d'environnement.
La préoccupation grandissante à l'égard de l'acceptabilité sociale au sein de la sphère politico-économique - résultat positif des mouvements de résistance citoyenne - devient ainsi une voie majeure pour renouveler la démocratie, dans un contexte où celle-ci risque d'être kidnappée par une caste oligarchique politico-économique masquant ses propres intérêts «dans la mise en avant formelle des intérêts du plus grand nombre» (D. Bergandi).
Lecture connexe Éthique publique
Lien: https://www.idea.ulaval.ca/files/content/sites/idea/files/Vol.16-1_2014.pdf
Here's my translation of an article written by a great friend of mine published in The Huffington Post.
Drinking water and hydrocarbons: a matter of public ethics
As per the minister of Sustainable Development, Environment and Climate Change (MDDECL), the new regulation on water withdrawal and its protection (RPEP) "constitutes a real answer to the demands made by citizens, municipalities and businesses of that sector. It allows the exploration and exploitation of hydrocarbons activities to go on while insuring the framework of this potential economic development".
First of all, it is certainly a paradox that such a regulation comes from a ministry in charge of fighting climate change. It is also embarrassing to consider that it fulfills citizens and municipalities demands. What did our policy makers learn, what did they conclude from the previously unseen social mobilisation, the hearings and the many consultations on the question and the rigorous and democratic process millions of citizens and hundreds of elected officials went through to give their municipalities adequate bylaws to protect their water?
Even before the planned process of a strategic environmental assessment on hydrocarbons, the MDDECL is now going forward with this regulation based on badly assessed risk management? Of course, in order to contribute to a "regulatory reduction", an economic impact study (EIE) of the regulation has been launched. The report mentions uncertainty about operation costs: the global impacts on the long term for the oil and gas companies "were not able to be evaluated because of the difficulty of establishing the potential of the development of the industry"... wishing the potential to be plentiful, of course, so that the imposing infrastructure required be profitable (since it will be shouldered by the state for the most part). But then, what happens to the uncertainty horizon of the collective costs caused by this invasive and extensive industry in the concerned territories (as witnessed by the American experience)? Optimistically, the RPEP EIE report mentions "environmental benefits".
A virtuous rhetoric
Not surprisingly, our policy makers have studied the file from a "business" point of view. It is notable to observe that they also use smart communication strategies, using among other things a virtuous discourse: security, vigilance, protection, integrity of the drinking water sources for present and future generations, acquiring knowledge, transparency, exemplary severity, rigorous follow-up, etc. We are now in the heart of a problem that concerns the ethical dimension of an environment public policy.
It is important first to recognize that the values only make sense in the ethic system where they are used. The instrumental security or vigilance values, for example, are more or less relative, just like collective wealth. Their meaning and their reach depend on the fundamental values underlying the project in question. So what is the basis of the ethical choices of a governing system where the "market" becomes "stakeholder" of the dynamics of public decision making and can buy legitimately the rights to influence? What meaning then takes the "common good", that should be the reference point of any political decision?
The ethical issues
Among the major issues concerning the contemporary link between ethics and public policies in environmental matters, let's mention these, that are also found in the body of the new Regulation (RDEP).
First, the legitimacy itself of the governance by "risk management" must be questioned. Such a management approach obscures the research of purpose: in the end, why do we accept taking such risks? In whose interests? Also, the notion of risk management itself "seems hypocrite in all scientific uncertainty cases" (A. Papaux).
The belief in resilience, either technological, regulatory and behavioural adaptation, as risk management, is a dangerous mirage. The ethics of resilience, understood as flexibility in favor of a neo-liberal "sustainable" economy and including the internalization of the environment as a market driver, must not exclude the necessity of a real "transformation policy" (R. Felli).
As for the "common good", the precautionary principle, associated with risk lucidity and the hope that there is still time (A. Papaux), must prevail over the risk management one. Same for the ethics of the ecological justice and the sharing of advantages (F. Thomas). "It is no longer a debate on the relevancy of consuming a fossil fuel, be it imported or from local extraction, but to denounce the untenable round of massive investments accorded to extraction projects feeding uses that sustainable sources, better qualified and more structuring inter-generationnally, can satisfy at a lower social cost" (B. Saulnier).
As for transparency, too often it corresponds to a window of light on big walls of secrets (F. Lemarchand). "Transparency" is a requirement for democracy, calling for constant vigilance against different forms of opacity: no matter the transparency of information, we cannot avoid that the dynamics of decision making is not based on so-called objectivity: it is the tributary of a "game of interpretation and argumentation" (A. Papaux).
Finally, social acceptability must not be reduced to social acceptability, especially when the public does not have access to complete and credible information. The famous "dialogue with the communities" that the institutional experts and the industry had could be a "communication system based on the removal of the reflexive capacity of the players" (R. Beaudry et coll.). Yet, all these social marketing initiatives will never replace the necessity to collectively identify the criteria of fundamental acceptability. Social acceptability refers to the exercise of a participative and active democracy. The increasing presence of citizens in the arena of public questions widens the ethic dimension of debate and can lead to rethink the value system, usually implicit or instrumentalized, that determine environmental public policies.
Growing preoccupation about social acceptability within the politico-economic sphere, a positive result of citizens' resistance actions, now becomes a major pathway to renew democracy, just when it risks of being kidnapped by a politico-economic oligarchic caste disguising its own interests "in formally putting foremost the interests of the many" (D. Bergandi).
Also read The ethical issues of public policy in the environment
Link: https://www.idea.ulaval.ca/files/content/sites/idea/files/Vol.16-1_2014.pdf
Wednesday, August 13, 2014
Eau potable et hydrocarbures: une question d'éthique publique
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