Friends of the Richelieu. A river. A passion.



"Tout cedit pays est fort uny, remply de forests, vignes & noyers. Aucuns Chrestiens n'estoient encores parvenus jusques en cedit lieu, que nous, qui eusmes assez de peine à monter le riviere à la rame. " Samuel de Champlain


"All this region is very level and full of forests, vines and butternut trees. No Christian has ever visited this land and we had all the misery of the world trying to paddle the river upstream." Samuel de Champlain

Wednesday, November 17, 2010

Gaz de schiste - mémoire de Ruth au BAPE



Mémoire de Ruth soumis au Bureau d’audiences publiques en environnement portant sur le développement durable de l’industrie des gaz de schiste au Québec

Je me nomme Ruth Major Lapierre; j'habite un village de la vallée du Richelieu depuis une quinzaine d'années; j'y ai ma maison. Avant ma famille, ont vécu dans cette maison des Forget, et avant eux des Collette, et avant eux, des Pépin dit Lachance et avant eux, ici mais dans une autre maison, des Durocher et des Courtemanche. Avant, la terre faisait partie de la seigneurie de Contrecoeur concédée le 29 octobre 1672 à Antoine de Pécaudy. Et plus avant encore, les Iroquoiens empruntaient ses petits chemins qui menaient de la Richelieu jusqu’au fleuve; chez mon voisin, on a même trouvé des pointes de flèches. C’est pas d’hier que mon coin est habité. Et ça s’est transmis de l’un à l’autre, en plus aimé, en plus soigné, en plus partagé, en plus vivant jusqu’à nous. Je n’habite pas le coin le plus ancien du Québec, loin de là!

Le plus jeune de mes enfants a grandi au bord de la rivière. Je fais un jardin potager depuis que nous habitons ici; je cultive les légumes et les fruits que nous mangerons pendant l'hiver; l'homme de ma vie a planté des centaines d'arbres. Quand le verglas a abattu notre grange en 1998, c’est mon voisin qui, préservant ferrures, clous, planches et madriers, l’a déconstruite soigneusement parce qu’un autre pourrait en avoir besoin; c’est un autre voisin qui a fait la structure et la toiture de la nouvelle grange et c’est mon mari qui l’a terminée. Aujourd’hui plusieurs des planches et des madriers forment l’allonge de la jolie maison d’un villageois qui cherchait du bois pas trop cher pour faire de ses mains l’ajout dont il rêvait. Rien n’est perdu.

Je vous raconte tout ça, parce que c'est précieux, c'est ce qui compose des grands pans de mon existence, celle de ma famille, celle de mes voisins, celle de la vaste majorité des Québécois.

Notre maison, notre terrain, c’est notre projet de vie; comme ça a été le projet de vie de toutes ces familles qui sont passées par ici avant nous. C’est ce que nous avons toujours espéré laisser à nos enfants, parce que nous avons appris comme vous sans doute que la seule valeur absolument sûre, c’est notre maison. Vous avez probablement appris la même chose et vous travaillez sûrement pour transmettre à vos enfants le fruit de votre projet de vie, peu importe sa forme.

Nous avons appris, disais-je, que notre maison, notre chez-nous, c’était ce que nous pouvions laisser à nos enfants. Mais ça c’était avant les gaz de schiste. Malheureusement.

Je poursuis, voulez-vous?

Dans les municipalités, les villages, les choses ne vont pas de soi. Les services sont souvent inconnus. Quand les gens d’ici ont voulu une bibliothèque dans les années 1980, ils ont ramassé tous les livres que leurs connaissances ont bien voulu donner. Ils ont classé, trié, nettoyé, préparé, collé, plastifié des épines et les coins, fabriqué des étagères. Notre bibliothèque fait mantenant partie du réseau des bibliothèques publiques, mais vous voyez, il n’en a pas toujours été ainsi.

Quand les gens de mon village ont été sensibilisés au recyclage du papier, toujours dans les années 1980, ce sont les femmes de l’AFÉAS qui ont fait le tour des maisons pour ramasser les papiers et aller les porter dans un centre de tri. Quand les temps se sont faits durs, des femmes et des hommes d’ici ont fait des ateliers de fabrication dans la salle communautaire; ce sont encore des femmes qui se réunissent le mercredi après-midi et fabriquent encore aujourd’hui des couvertures, des courtepointes, des bas, des mitaines, des pantoufles qu’elles vendront un peu avant Noël pour donner un repas décent aux familles dans le besoin et, peut-être, acheter quelques jouets et faire une épicerie complète.

Ici, j'ai appris ce que voulait dire faire partie d'une communauté, penser au bien commun; et je me suis fait des amis. Par le bénévolat à l’école ou à la bibliothèque, par mon appartenance à la société historique, entre autres.

Pour garder nos jeunes, j'ai vu les gens d'ici partir et aller visiter les autres villages, chercher à savoir comment ils réussiraient à s'ouvrir au monde tout en donnant aux jeunes la possibilité de rester, d'avoir une bonne vie, de l'air sain.

Avec beaucoup d'autres de mon village (nous étions une bonne cinquantaine), j'ai travaillé à le faire connaître, lors de son anniversaire de 250 ans. Quand les lumières de la fête se sont éteintes, quelqu'un a eu une autre idée pour garder allumée la flamme communautaire. Après des milliers d'heures de labeur de la part de bénévoles, la maison de la Culture est née. Et elle a du succès; tout en laissant judicieusement de la place pour les talents des villageois, elle fait connaître des artistes, des peintres, des sculpteurs, des joailliers; elle fait entendre des musiciens, des chanteurs; elle invite des auteurs. Elle attire maintenant des gens de partout. Chaque été, elle embauche des étudiants; comme beaucoup d'autres jeunes du village, mon fils y a travaillé, il y a quelques années.

Quand nous avons appris l’an dernier que nous allions perdre notre petite épicerie, les villageois se sont réunis et ont trouvé une solution : nous allions faire une coopérative, un magasin général qui a ouvert ses portes il y a quelques semaines. Le tiers des familles est membre.

Quand les touristes s'arrêtent ici, ils se trouvent enchantés du paysage, de
l'accueil réservé à chacun, de la belle vie que nous menons, de la richesse patrimoniale de mon village qui fait partie de l’Association des plus beaux villages du Québec.

Je vous parle de mon village, mais je pourrais tout aussi bien vous parler du village de mes ancêtres en Outaouais, ou du village voisin, ou bien des îles de Sorel qui font partie du patrimoine mondial, ou bien du mont Saint-Hilaire, nommé en 1978 première Réserve canadienne de la Biosphère, ou bien des Îles-de-la-Madeleine où des jeunes admirables mènent sans faillir une lutte aux géants au coeur d’acier qui menacent leur existence même, d’Anticosti, de Valleyfield, de Lévis ... Je vous parlerais aussi d'amour, d'enracinement, de ces autres lieux qui d'une rive à l'autre du Saint-Laurent jusqu'en Gaspésie, d'une rive à l'autre de la Richelieu ou du lac Saint-Pierre, ont fait grandir le Québec et chacun de nous.

Depuis des années, autant par devoir de mémoire que par nécessité, dans les villages nous animons le souvenir de nos maisons anciennes, de nos si riches terres nourricières. Nous avons travaillé non seulement à pavoiser, mais encore à embellir nos maisons à les restaurer lentement, à fleurir nos terrains pour les rendre accueillants, pour faire connaître et vivre nos histoires. Dans chacune de nos municipalités, nous avons travaillé à organiser des festivals, des symposiums, à nous inviter les uns les autres, à créer des emplois sans rien demander à personne et à ouvrir un jour peut-être, grâce à notre bonne réputation, nos portes à des gens qui nous viendraient même d'autres contrées. Ce qui ne manque pas d'arriver.

Chez moi, chez nous, chez vous, ça s'est bâti comme ça, depuis quatre cents ans et même bien avant, ça s'est bâti avec du temps et avec du travail. Il n'y a jamais eu de miracle. Personne n’est arrivé avec une pépine ou une foreuse pour nous dire que nous deviendrions riches comme Crésus à vendre du gaz.

Nous avons appris, et nos pères et nos mères avant nous, que l’eldorado des cités d’or, c’est un mythe - les Espagnols ont payé assez cher pour l’apprendre et, surtout, ils l’ont fait payer encore plus cher aux populations locales. L’avenir c’est du travail, des projets liés au bien-être commun, au plaisir d'être ensemble, et puis après, l’avenir c’est d’ouvrir tout grand ses mains et de remettre en toute confiance à ceux qui nous suivent, parce que nous savons leur confier un trésor de grande valeur.

L'argent et la richesse rapides que le gouvernement et les gazières nous font miroiter aujourd'hui n'iront ni à moi, ni à nous, ni à vous, ni aux autres, sinon à quelques vandales – et le mot est bien faible – pour qui le sacré est vert piastre. Des gens à la poutre grosse comme le monde qui accusent les autres d'avoir la paille de l'égoïsme dans l'oeil, de ne pas vouloir le progrès dans leur cour en refusant le gaz de schiste. Des gens qui profitent de subventions à caractère fiscal qui favorisent l'expansion illimitée des gaz à effets de serre et minent les efforts de toute la population, des gens qui ne paieront aucune redevance pendant au moins les cinq premières années d'exploitation du gaz de schiste et qui en paieront un minimum par la suite. Si jamais ils paient quoi que ce soit.

Je ne veux pas du gaz de schiste parce que Junex est déjà passée par ici. Parce que Junex a semé non seulement la zizanie et la confusion dans la population, mais encore a-t-elle méprisé sans merci les citoyens en s’installant à moins de
100 mètres des habitations; a-t-elle créé des insomnies, des angoisses, des stress, des maladies dans son sillage; a-t-elle abandonné le terrain qu’elle a « exploré » sans même se donner la peine de le nettoyer, de le fermer, de le clôturer, de protéger les enfants du voisinage contre des risques importants et réels, sans même fournir d’informations à la municipalité quant à un plan en cas d’urgence. Je ne veux pas du gaz de schiste parce que l’agriculteur qui a loué sa terre et qui sème du soja blanc destiné à l’alimentation humaine l’a fait sur le sol lourdement contaminé par les dizaines et les dizaines de camions qui pendant six mois, nuit et jour, ont laissé leur diésel tourner, couler dans la terre et empuantir l’atmosphère. Parce que la CPTAQ pourtant mandatée pour voir au bon usage agricole des terres n’a même pas jugé bon d’imposer des distances séparatrices ou de vérifier l’état du sol avant l’ensemencement; parce que le ministère de l’Environnement qui jure haut et fort inspecter tous les lieux ne l’a pas fait; parce que le ministère de l’Agriculture ne l’a pas fait non plus. Vous voyez tous ces mensonges qui s’accumulent? Je ne veux pas du gaz de schiste parce que sur les papiers des fonctionnaires du ministère des Richesses naturelles et de la Faune acoquinés - je regrette ce mot, mais je n’en ai pas d’autres - avec l’industrie, tout est beau et sans problème alors que dans l’expérience il en va tout autrement; les grilles n’obéissent pas à la réalité - vous le savez comme moi et les populations étatsuniennes l’apprennent en ce moment dans la douleur. Je ne veux pas du gaz de schiste parce que les compagnies échappent à toutes les lois auxquelles sont soumis les citoyens. En fait, les compagnies ne cherchent à être des citoyens que lorsqu’elles veulent s’approprier un peu plus les avoirs des citoyens véritables, lorsqu’elles cherchent à se frayer un chemin vers l’acceptation publique. Autrement elles laissent leurs débris et leurs rejets en partage, comme Junex l’a fait ici, elles redeviennent des corporations, des entités non responsables, qui ne doivent rien à personne et qui restent sourdes à toute demande.

Je ne veux pas du gaz de schiste parce que l’eau si précieuse sera perdue et gaspillée pour de vulgaires billets verts. Je ne veux pas du gaz de schiste parce que je ne veux pas de pollution des camions qui détruiront les routes et mettront en danger les citoyens et leurs enfants. Je ne veux pas du gaz de schiste parce que les produits dangereux que les compagnies enfouissent dans le sol auront des conséquences tôt ou tard et que ces conséquences ne peuvent pas être heureuses. Je ne veux pas du gaz de schiste parce que nous n’en avons pas besoin; nous pourrions travailler ensemble à des projets véritablement durables d’énergies vertes que nous repoussons afin de permettre à quelques individus de se remplir les poches et d’asservir la population pour longtemps quand viendra le temps de payer les dégâts.

Je ne veux pas du gaz de schiste parce que nos villages seront perdus; nos municipalités seront perdues, notre mémoire s'effacera. Les emplois que nous avons arrachés à l'urbanisation, que nous avons créés de toutes pièces, que nous avons inventés avec nos produits du terroir, nos magasins de village, nos commerces de proximité, nos comptoirs de fruits et légumes, nos emplois d'été dans les maisons de la Culture, tous ces emplois sont appelés à disparaître avec le gaz de schiste. Savez-vous seulement quel travail il a fallu pour les faire naître? Et il faudrait tout saper pour le bénéfice de quelques-uns.

Qui voudra venir voir et humer notre pollution, qui voudra se faire secouer sur nos routes encore plus brisées, qui voudra se perdre entre deux semiremorques chargés de l'eau pompée dans la rivière à hauteur de 20% du niveau le plus bas? qui voudra suivre un semi-remorque contenant des dizaines de milliers de litres de produits chimiques à ajouter à l'eau et au sable qui serviront, sous haute pression, à fracturer le schiste? qui voudra visiter les piscines polluées de produits chimiques vomis par les fracturations des puits? qui voudra visiter des citoyens menacés chaque jour d'invasion de domicile par ces compagnies sans scrupule? qui voudra rendre visite à des gens littéralement prisonniers de leurs maisons invendables, démoralisés de n'avoir plus ni santé ni espoir? qui voudra acheter nos produits du terroir? qui voudra venir se marier dans une belle vieille église de pierre entre deux torchères de gaz? Pour quoi sacrifierait-on ainsi nos emplois, nos gagne-pain, nos existences? Pour que les actionnaires des gazières et des pétrolières s'enrichissent? Et combien ça coûte, toutes ces pertes? Est-ce que quelqu'un, quelque part, fait le calcul? Est-ce que quelqu'un, quelque part, sait même compter?

Dans les officines des ministères, ne pourrait-on pas travailler comme le font les gens dans les communautés du Québec? ne pourrait-on pas chercher le travail bien fait, la durabilité au lieu de chercher le coup vite en dehors de toute logique, en dehors de toute loi, en dehors de tout esprit communautaire? ne pourrait-on pas chercher le bien-être collectif au lieu de l'enrichissement individuel? nous avons de l'hydroélectricité à ne plus savoir qu'en faire; nous avons du vent; nous avons du soleil; nous avons des gens brillants, nous avons de la bonne volonté. Ne pourrait-on pas miser là-dessus, au lieu de vouloir arracher à la Terre, à nos enfants, à nos petits-enfants les ultimes ressources? Est-on obligé de tout saigner, de tout vider, de tout saccager? Sommes-nous incapables de nous asseoir et de réfléchir ensemble à des orientations communes qui marqueraient tout projet d'envergure? Sommes-nous si pressés de tout faire sauter?

Par-delà toutes les raisons déjà évoquées par les innombrables personnes qui prennent la parole dans cette crise de folie gouvernementale, pour que la vie ne quitte pas les villages et les municipalités du Québec, je m’oppose à l’exploration et à l’exploitation du gaz de schiste qui n'a rien de durable, rien de responsable.

Je vous souhaite du courage, parce que ce gouvernement en manque gravement. Nous ne manquons pas d’idées; nous ne manquons pas de projets; nous avons des mains, des bras. Depuis plus de 400 ans nous l’avons démontré sans relâche. Pourquoi faudrait-il maintenant que nous soyons condamnés à regarder poignarder allègrement les projets de développement local, les programmes et les entreprises des CRÉ, des MRC; pourquoi devrions nous voir en silence saccager l’économie citoyenne, celle qui génère pourtant les taxes et les impôts qu’engrangent les compagnies avec les
subventions et les crédits de toutes sortes.

Je vous souhaite du courage parce qu’il en faudra : tout l’espace du politique a disparu, remplacé par des individus qui gèrent maintenant les intérêts publics au strict profit du privé. Nous en avons eu la preuve hier encore lorsque la CPTAQ a accordé un permis à une entreprise en arguant qu’elle n’avait pas les compétences pour s’y opposer. (Si elle n’a pas les compétences pour s’opposer au projet de Molopo, en quoi a-t-elle celles de l’autoriser?)

En terminant, malgré que j’aie, comme bien d’autres, perdu espoir en nos institutions dont vous êtes aujourd’hui les représentants, je lance ce mémoire comme une bouteille à la mer, en vous souhaitant assez de courage et d’indépendance pour entendre les voix qui montent jusqu’à vous.

Ruth Major Lapierre
Saint-Antoine-sur-Richelieu

1 comment:

  1. Très beau mémoire, très éloquent.

    Dans une vraie démocratie, les élus écoutent la population qui a quelque chose à dire, qui se réunit et se ligue contre quelque-chose dont elle ne veut. Dans une vraie démocratie, il y aurait eu un vote, un moratoire pour arrêter le massacre et réfléchir. Mais on dirait qu'aujourd'hui, ici comme ailleurs, les élus au pouvoir estiment qu'ils n'ont de comptes à rendre à personne et peuvent jouer avec nos pays comme avec des Légo. Sauf qu'une fois qu'ils auront tout abîmé, ils ne seront plus là pour ramasser les morceaux.

    Merci pour ce texte.

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